
Mouche noyée, vive les cannes à deux mains légères !
D’un point de vue historique, les longues cannes à mouche font partie de notre patrimoine halieutique pour pêcher à la mouche noyée. Les “pelaudes” limousines et bretonnes n’avaient pas que des défauts et avec les matériaux actuels une canne de 13 pieds reste très maniable. Saumonier mais avant tout pêcheur de truites et d’ombres, spécialiste de la pêche à la mouche noyée, Claude Ridoire nous vente les mérites des longues cannes dites “à deux mains”, dont la qualité des dérives est incomparable.
Par Claude Ridoire
La technique de la mouche noyée requiert un équilibre de l’ensemble : canne, soie, bas de ligne, particulièrement soigné. L’approche matériel de cette technique de pêche est très spécifique. Dans nos grandes rivières du Sud-Ouest (Garonne, gaves, Dordogne…), et durant la période printanière des deux à trois mois qui suivent l’ouverture mais aussi pendant celle de pêche de l’ombre à l’automne, les niveaux d’eau conséquents font appel à la pêche en dérive aval sous toutes ses formes. Pêcher de larges et puissantes rivières au niveau d’eau soutenu n’est pas une mince affaire. Aussi, l’utilisation d’une longue canne est indispensable à bien des égards. Les matériaux dont on dispose actuellement donnent naissance à des engins parfaitement utilisables toute la journée. Cette démarche, bien que très ancienne, devient de plus en plus rare, au profit de techniques qui ressemblent de moins en moins à de la pêche à la mouche. Et pourquoi ne pas tenter de se ressourcer dans cette technique de la mouche noyée avec une canne de grande longueur ?
Historique
Il reste encore quelques cannes vestiges des écoles limousines ou bretonnes au fond des greniers ou au-dessus des cheminées en guise d’ornement. Le bambou noir et le roseau étaient largement utilisés en début du siècle dernier. Certains scions étaient élaborés avec des baleines de parapluie ! L’ensemble mesurait au total quatre bons mètres en deux pièces. Raccordées d’abord par “splice” ou sifflet, les viroles sont ensuite apparues. Dès les années 1950, la fibre de verre et le Conolon ont permis des montages plus légers. Leur action lente n’était pas d’un maniement aisé, mais s’adaptait aussi à des pêches plus naturelles, telle la volante, ou aux esches naturelles. Dans le Limousin, la pelaude, utilisée d’abord par les moucheurs d’Eymoutiers, appelés pelauds, était accusée de vider la Vézère, la Luzège, et on la redoutait jusqu’en Corrèze !
Dès le début des années 80 et en dépit de l’avènement du carbone, quasiment aucun monteur ou fabricant artisanal ne s’intéressait à ces grandes barres. Cependant, Jacky Montagnac, fin moucheur et grand preneur de truites corrézien, avait réussi, à force de conviction et de savoir-faire, avec le précieux concours toutefois de Guy Plas, l’élaboration d’une canne mesurant 13,1 pieds. Outre sa décoration artistique (les fameux émaux), elle était et reste encore une canne d’une extraordinaire efficacité pour la pêche à la mouche noyée en grande rivière. Equipée d’une soie n° 5 ou 6, elle autorise des lancers de grande longueur. Sa diffusion restreinte et son utilisation consi-dérée comme anachronique à l’époque en ont fait une canne plus que rare et donc très chère sur le marché de l’occasion. Depuis, le carbone a largement évolué. Toutefois les carbones hauts modules n’ont jamais eu mes faveurs, mais certaines des fibres récentes mises au point par les pêcheurs à l’anglaise ou au toc sont vraiment dignes d’être habillées pour un moucheur recherchant l’efficacité dans de longues dérives vers l’aval. Hormis pour les pêcheurs de poissons migrateurs utilisant de lourdes soies n° 8 à 12, la canne à deux mains en carbone n’a jamais attiré les foules pour pratiquer avec des soies légères n° 5 ou 6. Quel dommage !
Les avantages de la canne à deux mains
Ainsi, avant les années 80, c’est la polyvalence qui prévalait pour ces longues barres. Aussi efficaces à la mouche sèche qu’à la mouche noyée ou qu’avec des esches naturelles, elle constituait l’unique canne des coureurs de rivières. Petit à petit, la multiplication des cannes “à une main” de courte longueur a relégué les longues barres traditionnelles à l’état de relique. Mais c’est avant tout l’évolution des techniques de pêche qui leur a été fatale. Les pêches à la nymphe “au fil” et la pénétration – fort dommageable – des pêcheurs à la mouche dans le lit des cours d’eau par l’usage exagéré du wading ont privé la mouche noyée de ses lettres de noblesse. Sa réelle efficacité pour les longues dérives, même avec des puissance de 5 à 6, est surprenante. Pour être né dans un véritable moulin, j’ai toujours évité autant que possible de pénétrer dans l’eau, car il y a aussi des poissons sur les bordures…
La gestuelle qui entoure ces grandes cannes, outre le fait qu’elle vous replonge immédiatement dans le rêve d’un pèlerinage pour migrateurs lointains, est des plus agréables. Dans la longueur de base de 13 pieds (3,90 m), c’est en fait une canne à une main et demie… La courte poignée basse sous le moulinet n’est en réalité qu’un simple pivot pour la deuxième main. Ce type de canne relativement légère de 110 à 160 g reste maniable à une seule main pour les petits coups jusqu’à une dizaine de mètres.
Les deux types de pêche à la mouche noyée
Même si le sujet du jour tourne particulièrement autour d’un type de matériel spécifique pour pêche légère, il me paraît néanmoins opportun, au passage, de bien distinguer les deux types de pêche en noyée. La base de cette technique, dite pêche imitative, consiste à faire dériver sous peu d’eau l’imitation du moment. Dans ce cas, alourdir le bas de ligne ou, pire, lester les mouches ne peut que nuire à la présentation. Et c’est bien là que notre longue canne fait la différence, en présentant l’artificielle d’une façon inégalable à longue distance. L’autre pêche à la mouche noyée, dite incitative, se différencie dès que la mouche devient leurre. Dans ce cas, même si une classique canne à une main convient, je reste souvent fidèle dans cette pêche à une canne à deux mains, mais plus puissante (canne à saumons légère de puissance 8). Cette canne convient pour les grosses truites migratrices (farios, truites de mer, steelhead…), que l’on peut rechercher à l’étranger (Argentine, Canada…). En fait, le premier type de pêche, dit imitatif, est tout en finesse, avec des mouches le plus diaphanes possible, et le second, dit incitatif, s’apparente plus à de la pêche avec des streamers.
L’action de pêche
Pour un pêcheur rodé aux grandes cannes, la prospection des grands cours d’eau à la recherche des truites ou des ombres en mouche noyée vers l’aval est un réel plaisir. Les sensations de distance, de finesse et de suivis tactiles du train de mouches sont amplifiées par le long bras de levier. Le train de trois mouches est ici plus facile à manipuler. Un des rares spécialistes de la Dordogne, l’ami Patrice, n’hésitait pas, il y a une vingtaine d’années, avec sa Corrézienne (la fameuse canne Guy Plas), à faire dériver quatre à six mouches (avant la limitation réglementaire à trois mouches au maximum) ! De toute évidence, la polyvalence d’utilisation d’un tel bras de levier sera optimale en l’actionnant d’une façon régulière en lancer roulé. Les bons “spey caster” trouveront largement leur compte dans toutes les configurations de berge. Néanmoins, dans les endroits dégagés, les lancers au-dessus de la tête confirmeront également l’intérêt d’un tel outil.
La soie
A force d’essais sur la densité des soies, j’ai depuis longtemps opté pour des soies flottantes, au pire intermédiaires, terminées par un bas de ligne plongeant. La liaison boucle dans boucle me permet d’en changer rapidement, mais c’est dans la plupart des cas un bas de ligne plongeant léger (tissé plongeant type Ragot) ou, à défaut, une longueur variable de soie naturelle plongeante type Thébault pour 1,20 à 2,50 m que je retiens. A
l’issue du lancer, il est nécessaire d’avoir une immersion rapide du train de mouches tout en noyant l’ensemble simplement sous le film de la pellicule de l’eau. Outre une soie à profil décentré WF, un fuseau de lancer “shooting-head” reste le propulseur idéal. Il y a plusieurs années, dans cette même revue, j’avais présenté la méthode maison pour fabriquer soi-même ce type de fuseau. Pour les cannes à deux mains avec un numéro de soie AFTMA 5 ou 6, un corps de soie de 10 à 12 m convient parfaitement pour un poids de 10 à 12 g. La notion du gramme par mètre est garante de précision. La partie courante sera fine et souple avec une connexion à la soie la plus discrète possible (soie parallèle n° 2 à 3 ou mono-filament spécial running line d’environ 60/100). Ce profil de soie procure une meilleure glisse, moins d’efforts contre le vent et un shoot final relativement droit eu égard à la légè-reté du bas de ligne plongeant qui arme la tête de lancer. La configuration optimale longueur/poids du corps de soie avec l’ensemble bas de ligne et train de mouches se situe aux environs de 15 m pour 15 g. Ce fuseau doit permettre au shoot final à partir de la tête de scion une sortie de partie courante de 8 à 10 m. Cet ensemble permet alors de réaliser des lancers hors tout d’environ 25 m, ce qui reste fort honorable compte tenu de sa légèreté.
Le moulinet
L’important bras de levier des cannes à deux mains impose le recours à un moulinet au frein très sensible, fiable, et au réglage très précis. Le plus important reste de pouvoir le régler selon la tension qu’exerce l’ensemble soie, bas de ligne et train de mouches, qui dérivent dans le courant vers l’aval. Le réglage complémentaire sera relatif à la touche et au diamètre de fil utilisé. De nos jours, de nombreux moulinets conviennent, il faudra cependant retenir un modèle léger (120 à 150 g). A la base, un moulinet Vivarelli possède ces qualités tout comme les modèles de gros diamètres légers (“large-arbor” de 80 à 110 mm). A mon avis, le nec plus ultra reste un moulinet multiplieur, compte tenu de la grande longueur de soie à gérer. Il peut être équipé d’un système anti-reverse. L’ami Jean Goudard, génial artisan, en a fabriqué voici plus de quinze ans et ils constituent aujourd’hui encore de véritables bijoux.
La canne type et son montage
Concrètement, aujourd’hui, ce type de cannes de grande longueur pour faibles numéros de soie ne couvre pas les étalages de nos halieutistes… Les essais avec des cannes à saumons, beaucoup plus puissantes, vous feront passer inévitablement à côté du sujet. Il faut en effet passer en dessous de la puissance 6 pour conserver une véritable dérive tactile et une certaine légèreté dans la présentation : rappelez-vous la règle de 1 g au mètre de l’ensemble propulseur. La longueur conventionnelle est de 13 pieds (3,90 m). Au-delà, mes différents montages n’ont rien prouvé de mieux. A partir de 12 pieds (3,60 m), vous pouvez considérez détenir une “une main et demie”, utilisable à deux mains ! Le poids se situera entre 110 à 160 g selon le montage, mais cela dépend de la longueur et du type de poignée retenus. L’ensemble canne/moulinet/soie ne doit pas dépasser 300 g.
L’action correcte est à définir de la sorte : en prenant la canne à son extrémité en tête de scion et en faisant glisser son doigt sous la canne, la courbure principale engendrée par le poids propre du talon sur le scion (et sur le ou les brins intermédiaires) doit agir au minimum sur le tiers et au maximum sur la moitié de la longueur totale.
La sensibilité pour la puissance recherchée doit permettre à une charge de 75 g située en tête de scion une déflexion par rapport à l’horizontale au repos de 65 cm pour la plus rigide à 80 cm pour la plus souple.